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Final du concours d'éloquence de l'université Paul Valéry au musée Fabre de Montpellier, "la vérité est ailleurs" à la négative


Mesdames, messieurs, mes chers membres jury, j’ai ouïe dire que ce soir mon contradicteur prétend que la vérité est ailleurs. Aïe. Oui, ça m’a fait mal d’entendre ça. Il tend vers l’ignorance rance, affirmation infirme, il faut qu’on affine. Ce ne sera pas long, promis, la vérité si je mens. La vérité n’est pas ailleurs. D’ailleurs et par ailleurs cher contradicteur, ce n’est pas que je ne veux pas vous croire mais plus que je ne peux pas vous croire. 

En effet, si cher contradicteur vous dites que la vérité est ailleurs, c’est que la vérité n’est pas ici, on est d’accord. Or, vous Zita, vous êtes ici, et moi hélas je suis là et je suis las. Et donc, cher contradicteur, vous ne détenez pas la vérité puisqu'elle est ailleurs. Par conséquent, excusez-moi de vous le dire de manière si frontale, mais vous mentez... Je vois d’ailleurs à votre visage que ça vous fait mal de l’admettre? Normal il y a que la vérité qui blesse. 

Quant à moi, je suis aussi ici et on m’a dit : la vérité sort de la bouche des enfants, tant mieux je viens de fêter mes 17 ans, alors mesdames, messieurs, mes chers membres du jury ouvrez grand vos cœurs et surtout vos oreilles. 

De nos jours, selon la doxa, c'est-à-dire la pensée commune, la vérité se rapporte en premier lieu à la science par la capacité à déterminer les règles qui chapotent notre monde. Si je peux prouver une loi physique ou chimique, sa véracité est aussi bien ici qu’ailleurs, et est donc universelle. Mais cette loi ne serait-elle pas encore plus vraie ici qu’ailleurs puisque c’est moi qui constate son résultat ? Ne serais-je pas le médium entre notre monde et celui des idées.

Mais prudence sur la science quand on y pense chère audience. L’histoire a montré que ce que l’on croit vérité la veille se révèle erreur le lendemain. L’humain s’est donc trompé maint et maint fois, allant jusqu’à comparer la forme de notre planète à un disque. Aujourd’hui, nous le savons tous, la rondeur de la terre n’a d’égal que la platitude de vos arguments très cher contradicteur. Les sciences sont réfutables. On dit souvent que l’humain progresse de vérités en vérités, je dirais plus qu’il progresse d’erreurs en erreurs.

Ne nous décarcassons pas trop car le grand Descartes lui-même ne faisait pas confiance aux sciences. Il pratiquait un doute méthodique et radical. Sans doute se méfiait-il de sa propre vision puisqu’il affirmait ”peut être un dieu omnipotent m’a créé de telle sorte à ce que j’hallucine le monde physique et me trompe même en faisant des mathématiques”... Je vous sens encore sceptique. Rassurez-vous, si vos oreilles saignent j’ai de l'anti-septique.  

Poursuivons et définissons les définitions. Si par le mot ailleurs, vous entendez cher contradicteur un ailleurs potentiel, un ailleurs accessible, c’est qu’il s’agit simplement d’un autre ici. Cet ailleurs dont vous parlez n’est donc jamais vraiment ailleurs, du moins pour la personne qui s’y trouve. D’autre part, dans l’affirmation d’un ailleurs, il y a quelque chose de très autocentré. C’est une vision occidentale, presque européenne et coloniale. Par exemple, dire qu’autrui est l’ailleurs, c'est un peu penser comme le FN, et ça c’est le début de la fin, FIN. Et si par le mot ailleurs cher contradicteur, vous entendez plutôt un ailleurs inaccessible, vous ne vous basez que sur des présupposés et n’avez aucune preuve de l'existence de ce que vous avancez. 

Finalement, affirmer l’existence d’une vérité c’est rassurant mais c’est surtout caresser un cadre carré à Carcassonne, et ça sonne faux. Il y a autant de vérités qu’il existe de sujets. Ainsi, on ne peut pas parler de la vérité, mais des vérités. La réalité est multiple. Prenons en exemple l’effet placebo d’un médicament. Il est vrai que le médicament fonctionne mais aussi qu’il ne fonctionne pas. Je le répète, on ne peut pas parler de la vérité mais des vérités ou de sa propre vérité. Citons encore Descartes, je pense donc je suis, cogito ergo sum. La première des vérités d’où la subjectivité découle provient de nous par la conscience de l’existence et est donc ici.

Et on pourrait même aller encore plus loin. Les vérités n’existent pas et sont une création de l’humain pour structurer son monde chaotique. Les vérités on en a hérité. Elles sont si apaisantes qu’on en oublie qu’elles sont pesantes. On se rassure à l’usure, moi y compris car je ne comprends pas tout. Les vérités ne sont donc que des illusions dont on a oublié qu’elles en étaient. J’imagine que vous avez tous la référence à la citation de Nietzsche.

Mesdames, Messieurs, mes chers membres du jury, je finirais en vous posant une dernière question, si la vérité est ailleurs, qu’est ce qu’on fout là?



"Génie du génital" - soirée poésie scène ouverte avec Rebecca Chaillon au Madrediosa de Montpellier


Allongée là et las, tu t’dis : c’est bizarre de faire l’amour. C’est s’frotter. C’est frotter un corps moche et puant contre un autre corps moche et puant. C’est embrasser la bouche de métro. C’est lâcher, et lécher la saleté, et avaler les sécrétions dont tu connais pas le nom. C’est promener son cul sur un individu d’excroissances nues. Faire l’amour, c’est ton corps qui veut procréer et ton cœur qui veut se protéger et te protéger. C’est angoissant avant et après. C’est essayer de ressentir avec l’autre ce qu’on ressent plus facilement seule. Avec lui, tu t’es forcée à rire, pas pour lui mais pour toi. Durant le sexe, t’as dit amen au corps du christ. Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir mais dis seulement une parole et je s’rais guérie. Mais tu es très malade, presque morte. Tu baises par égoïsme mais t’as rien reçu. Soit disant il te stimulait, pour sur tu simulais. Le pauvre, faudrait pas le blesser. Et lui il dort sur ton sein chaud et toi tu gèles dans ta tête. Il écrase ton bras de son gros corps moite et moisi. Et toi, ici, l’oreiller de lauriers t’as délaissé. T’as trébuché sur ses bulles de super sperme comme il dit. La clim à fond, son dos poisse jusqu’à tes os. Il te sert contre lui mais surtout te dessers. Pas un génie du génital il a besoin d’un plan du cul. 



"Dialogue entre deux jeunes gens" - soirée poésie scène ouverte avec Laura Vasquez au Trioletto de Montpellier


Lui : Désinvolture vestimentaire, tu ne pouvais que me plaire. 

Ma longue libellule, venue onduler le long de ta rivière,      

Butine quelques fleurs, se pose sur tes quelques pierres. 

Mes idées en caresse et sur ta berge ma verge misère. 


Elle : Quand meurt le lila l’hiver est là et la neige pousse dans mon sein froid. 

Ma lente lanterne ne berne que toi, printemps tantôt presque tentant. 

Geste de jeunesse, genèse risible d’un amant ignorant soupirant,

Il te suffit de quelque rien et tu me vénères déjà du bout des dix doigts. 

Alors avant de faner soudainement, dans ma bouche tourne ta langue 7 fois.



"M" - Carte Blanche au conservatoire de Bordeaux avec Lucas Mabilat


(Noir, lumière. Quelqu’un M, il porte une chemise, des bretelles, et a les paupières couvertes de paillettes bleues. Un fer à repasser est posé devant lui.. Il est calme, joyeux, léger.  M hésitant attrape le fer à repasser devant lui et le place près de son oreille comme un téléphone. Avec enthousiasme.)


Est-ce que je peux t’appeler ?(Un temps.) Okay, je raccroche et je t’appelle. 


(Repose le fer à repasser, puis le replace à proximité de son oreille.)


Bonsoir, je m’appelle M. Comme la lettre. Comme le chanteur. J’ai 41 ans, bientôt 17. Je demeure ici. Un temps. Je crois qu’ici, je perds un peu les pétales. 

L’infirmier a dit que le médecin arriverait dans 45 minutes il y a une heure. Apparemment il est au bloc, bref, greffe. Cet infirmier a aussi examiné mes mains, je crois qu’elles sont paumées. Je n’en suis pas sûr, ni certain, elles ne sont pas très bavardes ces derniers temps. Un temps. Comment je me suis fait mal, me demandes-tu? C’est une ongle histoire. Je préfère te raconter d’autres choses. 

(Il rit. ) J’ai faim. Peut-être que les médecins vont vouloir couper mes mains… En tout cas, j’ai faim.

Où est-ce que j’ai mal, me demandes-tu ? (En chuchotant.) Au rein.

Et maintenant ? 

La nuit, je suis en colère contre l’ennui. 

C’est la quatrième fois que des infirmiers, avec leurs belles blouses blanches, me demandent de répéter mon nom, ma date de naissance et mon adresse.  Bonsoir, je m’appelle M. Comme la lettre. Comme le chanteur.  J’ai 41 ans, bientôt 17. Je demeure ici. Visiblement, être organisé ne veut pas dire disposer d’une belle blouse blanche, et réciproquement.

Je crois que je suis désespéré de ne pas pouvoir désespérer. 

J’ai un peu froid à cause de la clim. J’ai souvent froid. C’est l’hiver de l’été. Maman dit que j’ai besoin d’un manteau de problèmes mentaux. Je pense qu’elle a une faiblesse au niveau du couvre-chef. 

(Une guirlande autour de ses bras s’allume.) Tiens, je suis illuminé.



"Je manque" - Dans le cadre d'un Projet Personnel au théâtre des 13 vents


Je manque de menthe, de sel, de condiment, d’après, d'après-shampoing. Je manque de tomate cerise, allongé, de café allongé. Je manque de sommeil, de coucher du sommeil, de cauchemar, de marmelade, de gelée, de chaleur, de faim, de finesse, de chaud. Je manque de ticket de resto, de ticket de métro. Je manque de marché, de randonné, d’ordonner. Je manque de poignées de mains, de maintenant. Je manque de disputes, de mensonges, de menteurs, de vérité. Je manque de verre de vin, de vert, de rouge, de bleu, de plaies, de s’il te plait. Je manque d’intelligence. Je manque d’élégance. Je manque de discernement. Je manque de rendez vous, de garde à vous. Je manque de matin, de gratuit, de gratitude. Je manque de sacré, de sac à dos, d’eau, d’oxygène, de sang, de B12. Je manque de coups, de couilles, de courage. Je manque de terre à terre, de terminus, d’anniversaire, de faute, de folie, de faux amis. Je manque de poésie, de position. Je manque d'insuffisance, de carence, d'intolérance. Je manque de moyen, je manque de moi.



“Le déchet”  - série de monologues


Je suis l’être le plus médiocre que j’ai rencontré. J’écris pour évacuer, pour m’évacuer. J'écris ma propre biographie pour tuer le temps de temps en temps les jours de mauvais temps.  Un titre s’est imposé: "le déchet”. Jusque là, je n’ai écrit que ces deux mots, mais un jour, bientôt, peut-être, je continuerais. Je suis un déchet non recyclable, sûrement la bouteille d’un liquide à peine ingérable, constitué majoritairement de sucre. Après tout, on est ce que l’on mange. Dans ma poubelle, quelques canettes vides dorment au soleil. Toute cette énergie est mise à profit lors de mes journées au lit, seule dans mon linceul. Mes draps sentent légèrement l’alcool, c’est discret, et j’ai saupoudré mon oreiller de miettes grasses. Chaque seconde, je me perds un peu plus sur un réseau anti-social. Je me coule dans une foule qui paraît, langage hermétique de nos propres chagrins pathétiques. J’y dissimule mon intolérance à l’anxiété, masque de sérénité. Auprès de mes colocataires, que j’appelle amis et qui m’appellent Jeanne, je m’invente des exploits. Pour eux, je mène une vie vive. J’ai fait l’amour avec toutes les nationalités et je raconte avoir été coach sportive. Mais moi le seul sport que je pratique c’est le lancé de mon propre poids, et de celui d’une vie vide. Un plein d'absence ou une absence pleine. La nuit je suis souvent accompagnée par des gens louches qui me disent “si je m’frotte à toi c’est avec respect”. J’arrive à en oublier mes mensonges. Je me drogue à l’illusion. Expression de dépression. Car j’aime paraître. Quand je ris fort, je ne ris jamais vraiment. T’es toi, tais toi. Alors je suis presque moi. Survie raz les pâquerettes, le misérable rat rate et râle. Vous dites qu’“il n’y a rien de plus puissant que d’être vulnérable”. Foutez vous bien de ma gueule.